jeudi 25 mars 2010

Homélie 5e dimanche du Carême

“Que celui qui est sans péché...”

Les scribes et les pharisiens amènent à Jésus une femme qu’on avait surprise en train de commettre l’adultère. Ils se veulent les fidèles défenseurs de la loi de Moïse; c’était leur devoir. Pourtant leur démarche justement, n’est pas conforme à cette loi qui disait: “surpris dans cette situation, ils seront mis à mort tous les deux, l’homme et la femme”. Pourquoi est-ce qu’ils amènent seulement la femme alors que l’homme a du pouvoir s’enfuir? Par ailleurs, ce n’est pas le souci de la gloire de Dieu qui les anime. Ils voulaient mettre Jésus à l’épreuve, afin de pouvoir l’accuser... La même tentation pourrait peut-être nous guetter si nous nous servions de notre bonne image pour accuser les autres.

C’est une scène bien connue qui nous est présentée aujourd’hui. Elle est dominée par deux regards portés sur cette femme. Il y a d’abord le regard des pharisiens, un regard froid; ils regardent la femme à travers les lunettes de la Loi de Moïse. Celle-ci était impitoyable: les deux coupables devront être mis à mort. Mais les supposés observateur de la Loi l’avait arrangée avec le temps, à leur avantage. C’était seulement la femme désormais qui devait subir ce sort. Au temps de Jésus, en fait, on considérait les femmes comme des servantes, inférieures aux hommes. Alors la femme n’a aucune chance de s’en sortir. Coupable, elle doit être lapidée, un point c’est tout!. Nous touchons ici du doigt combien une mentalité, une religion qui se fonde seulement sur la loi peut devenir un carcan qui étouffe et peut faire mourir. Et quelle image de Dieu cette religion offre-t-elle, d’un Dieu qui commande de tuer?

Il y a aussi le regard de Jésus. Il n’est pas venu pour juger, mais pour sauver, pour sortir ses frères et sœurs de ce que s.Paul appelait la malédiction de la Loi. Jésus ne voit pas d’abord dans cette femme son péché. C’est certain que l’adultère est un péché pour Jésus, mais il ne réduit pas cette femme à sa faiblesse. Il voit en elle un être humain qui n’est pas arrivé à aimer vraiment.

Alors Jésus s’était baissé et du doigt il écrivait sur le sol. Une leçon pour nous. Il ne veut pas entendre dire du mal des autres. S’il déteste le péché, il aime le pécheur. Son attitude est claire. Les accusations ne l’intéressent pas. Il ne fixe pas son regard sur la femme sans doute recroquevillée devant lui. Il ne regarde pas non plus ceux qui l’accusent méchamment. Jésus veut leur bien à tous, autant à l’accusée qu’aux accusateurs. Ceux-ci se pensent dans leur bon droit, ils ne veulent pas comprendre. Jésus va les mettre devant leur conscience. “Que celui qui est sans péché...”Demandons au Seigneur de nous rappeler ces mots quand nous sommes tentés de juger. “ Fais-nous partager ta miséricorde. Donne-nous ton regard pour voir les autres comme toi tu les vois. Viens changer notre cœur pour arriver à aimer comme toi.”

Jésus savait mieux que quiconque que, pour pouvoir aimer en vérité, nous avons besoin de nous sentir aimés en vérité. Nous ne pouvons pas nier en nous cette recherche, souvent sans doute maladroite, même faussée. En fait recevoir de l’amour pour pouvoir en donner. Jésus voit que cette femme n’est pas encore aimée pour elle-même. Elle reste pour les hommes qui la fréquentent comme un objet. Elle sent le genre de regard qu’on porte sur elle, le jugement des biens pensants. Alors Jésus ne tient pas compte des chemins qu’elle a empruntés pour tenter d’être aimée. Il la voit dans le regard d’amour que le Père porte sur elle. Si Jésus l’avait condamnée, il aurait fait une œuvre de mort, alors qu’il est venu pour que les gens aient la vie et la vie en abondance. Il fallait révéler à cette femme combien elle est aimée gratuitement par un Dieu qui est son Père. C’est vrai aussi pour nous quand nous sommes pécheurs et hésitons d’accéder au pardon. C’est parce que nous n’avons pas encore assez découvert combien nous sommes aimés d’un amour infini. Le seul chemin pour en sortir, c’est d’avoir la chance de rencontrer nous aussi le regard de Jésus. Le sacrement du pardon, s’il n’est pas le seul, est encore le meilleur chemin pour y parvenir.

Les autres lectures de ce dimanche vont dans le même sens. Dans la première, le prophète Isaïe s’adresse à des gens qui désespèrent de voir venir le jour où il seront libres et maîtres de leur destin. Il leur est promis la venue de ce jour; Dieu lui-même s’en occupera. L’enseignement de Jésus va confirmer cette annonce et va la conduire à sa perfection. Dieu pardonne à son peuple, le libère finalement et le fait revivre. Paul, ensuite, lui, le persécuteur des disciples de Jésus, rappelle comment il a été transformé à la suite de sa rencontre avec le Ressuscité. Oubliant ce qui se trouve derrière lui, il fonce en avant, soucieux de toujours mieux connaître le Christ et de vivre pleinement avec Lui. Dieu nous appelle aussi à cela: oublier ce qui est en arrière, tourner la page, regarder en avant, en demeurant convaincus que, quoi qu’il nous arrive, le Seigneur nous appelle à vivre. Confiance, Dieu tient Parole!

mercredi 17 mars 2010

4e dimanche du Carême 2010

L’ENFANT PRODIGUE


Nous venons d’entendre certainement une des plus belles pages de l’évangile, tant jeune, je me suis longtemps demandé‚ ce que ça voulait dire prodigue (pas un enfant prodige!). Enfin je me suis risqué de regarder dans le dictionnaire et j’ai vu que ça signifiait: quelqu’un qui est dépensier, qui dépense sans calculer.. Peut-être aussi qui gaspille sans réfléchir. C’est ça le fils prodigue!

Mais si on regarde de plus prés l’évangile, on constate que le personnage central sur lequel on attire notre attention, c’est plutôt le Père; c’est lui qui est prodigue, mais plutôt généreux en bonté‚ et en pardon. Il faudrait peut-être remplacer le titre de l’évangile par la parabole du Père-tendresse. N’oublions pas que c’est Jésus qui nous parle ainsi de son Père et de notre Père du ciel. Un portrait étonnant,
d’une largesse inouïe, exagérée dirions-nous!

Notre Dieu est un Père prodigue en miséricorde

-dans sa patience: il attend fiévreusement le retour de son fils. Il ne donne pas d’ultimatum comme nous le ferions si facilement: C’est la dernière fois que tu me fais ce coup-là; la prochaine fredaine, tu sais, c’est la porte. Que son enfant revienne, c’est sa préoccupation quotidienne.

-dans son pardon: il ne demande pas de compte à son fils, n’exige pas une confession rigoureuse de tous ses méfaits. Il ne veut pas le diminuer davantage, il l’a assez humilié jusque là! Il ne calcule pas non plus, comme nous, on aurait peut-être dit : Mon garçon je te pardonne ton coup de tête, mais arrive-moi pas avec un casier judiciaire parce que là, je te déshérite...

-dans son respect: il ne profite pas de la situation pour démolir son fils, genre: je te l’avais bien dit, si tu m’avais écouté, tu as voulu faire à ta tête de pioche, ce n’est pas moi qui vais payer pour tes erreurs!

-dans son accueil: il tend les bras, il oublie le passé il tourne la page. Il ne dit pas: je te pardonne à condition que tu fasses ceci ou cela. Il sait bien que c’est le pardon qui finira par changer le cœur du garçon; ce n’est pas le changement éventuel qui mériterait le pardon, mais le contraire. Donc, pas d arrière-pensée de revanche!

-dans sa joie: elle est si profonde, si sincère... comment douter de son amour. S’il accueille son fils ce n’est pas pour bien paraître devant les autres, ou par bonne conscience pour être en paix avec lui-même. C est uniquement parce qu’il est amour, qu’il aime son enfant démesurément. Son retour à la maison est la source de sa joie! Nous sommes bien loin de nos calculs mesquins, c’est plutôt la générosité extrême de notre Dieu qui nous est rappelée. Le fils aîné qui est resté fidèle en est scandalisé surtout devant la fête qui s’organise, les vêtements neufs, les dépenses. En écoutant ce texte on devrait se dire en chacun de nous: et si je croyais vraiment moi aussi que je suis le bien-aimé‚ de Dieu, l’immensité de sa joie quand je reviens vers lui... est-ce que je n’irais pas plus souvent me jeter dans ses bras pour goûter la joie d’être pardonné d’être sauvé.

J’ai à reconnaître que je peux être de quelque manière à l’occasion un fils/fille prodigue quand j’abuse sans réfléchir du cadeau de ma santé, quand je n’entretiens/cultive pas le cadeau royal de ma foi: peut-être aussi, en polluant le cadeau de la belle nature; quand je m’éloigne pour une longue période de la maison familiale, l’église de Dieu, que je juge si peu attirante (c’est sûr que la télé ou l’internet sont tellement plus distrayants); quand je laisse perdre de bonnes inspirations, des grâces que Dieu me donne.Trouver le bonheur d’être accueilli tel que je suis par un Père qui m’aime, un Père-tendresse, c’est finalement la joie du sacrement du Pardon... curieusement un sacrement pas assez fréquenté, qui fait peur, dont on a perdu le sens. Le fils avait remâché lui aussi 56 raisons de ne pas revenir; c’est quand il a pris son courage à deux mains, qu’il a fait un geste de repentir, qu’il est entré dans la joie et la lumière, qu’il a été réintégré dans l’amour.

Je suis peut-être aussi à la fois le fils aîné, celui qui est resté fidèle, bon pratiquant, même engagé dans mon milieu, mais qui est déçu de la trop grande indulgence de Dieu envers les distants ou les ouvriers de la dernière heure; déçu que mes mérites et mon travail ne soient pas assez reconnus. Déçu que Dieu ne se pose pas en justicier pour faire le grand ménage en balayant tout ce qui traîne, les indifférents, les ennemis de la foi... A nous aussi le Père nous dit: pourquoi te plaindre, tu es mon enfant et tout ce qui est à moi est à toi! Serais-tu envieux parce que moi je suis bon? Dom H. Camara disait: le fils cadet s’est réveillé de ses péchés; il faudrait que le fils aîné, lui, se réveille de sa bonne conscience, se distancie de ses vertus et de ses mérites, de sa bonne conscience!

Résumons:

Au-delà de tout ce qu’on pourrait prévoir si on suit la pente du gros bon sens, Dieu notre Père attend patiemment mon retour. Au-delà de toute convenance, il se réjouit et m’accueille quelque soit mon péché. Il ne me demande que le regret de mes fautes et le ferme propos, i.e. l’intention bien arrêtée de me reprendre, de m’améliorer. Dieu est Dieu, ses chemins ne sont pas les nôtres, son amour est sans limite. Bien sûr, nous sommes faibles, mais nous sommes toujours les enfants du Père. Bien sûr nous sommes pécheurs, mais nous sommes les bien-aimés de Dieu. Et à ses yeux, c’est tout ce qui compte! Bonne nouvelle qu’il faut sans cesse se redire! Aujourd’hui encore Dieu nous tend la main! (Dimanche le 21 mars, 15h00, le sacrement du Pardon nous est offert, à nous d’en profiter!)

mardi 9 mars 2010

Homélie 3 ieme dimanche du Carême Si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même

“Si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même”. On venait d’informer Jésus des événements qui avaient occupé les actualités de son époque: des soldats avaient massacré des gens sur l’esplanade du Temple et une tour en construction était tombée, entraînant la mort de 18 personnes. Au lieu de commenter les faits, Jésus lance cet avertissement: “Convertissez-vous!” Si on rapportait à Jésus les récents tremblements de terre qui ont causé des milliers de mort en Haïti et des centaines au Chili, en plus des inondations un peu partout sur la planète, qu’aurait-il répondu? La même chose sans doute! C’est une invitation à vous convertir... On peut être surpris de la dureté de ces propos. Comment les interpréter? On se serait attendu à des paroles de compassion, de sympathie, car Jésus à plusieurs autres occasions en avait montré envers les victimes des malheurs, les proches des défunts, les malades. Comment concilier la rudesse de ces paroles avec la douceur habituelle de son comportement?

Qu’est-ce que Jésus veut nous dire aujourd’hui sur nous-mêmes et sur le monde actuel? Qu’est-ce qu’il cherche à nous révéler sur l’avenir, à nous dévoiler aussi sur le mystère de Dieu? A ses contemporains comme à nous-mêmes Jésus fait une invitation à porter un regard lucide sur la réalité de notre monde. On ne vit pas dans le meilleur des mondes. La planète n’a pas fini de bouger, de s’ajuster dans ses profondeurs. Face à une certaine naïveté qui voudrait se persuader que l’humanité progresse lentement vers un avenir meilleur, Jésus nous rappelle la présence réelle du mal, de l’imperfection, de la finitude du monde matériel comme de notre humanité. Mais il ne s’arrête pas là: ce serait trop facile pour nous de dire: “les temps sont bien durs, c’est bien terrible” et d’oublier notre propre responsabilité.

A ceux et celles qui l’écoutent, Jésus rappelle que le premier combat à mener c’est celui de notre propre coeur. “Si vous ne vous convertissez pas...” Il ne s’agit pas évidemment de pleurer sur nous-mêmes, de nous lamenter, de nous stresser, de dire: “Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu?” Il faut au contraire prendre conscience de notre mission de baptisés. Jésus est venu sauver ce monde, il est venu annoncer l’amour invincible du Dieu vivant. Nous avons à nous en convaincre pour nous-mêmes et à le faire connaître autour de nous. Donc: confiance, Dieu tient parole!

Comme l’affirme s.Paul dans la seconde lecture: “Ces événements étaient destinés à nous servir d’exemple”, à nous sortir de cette sorte d’engourdissement, d’indifférence, qui est très répandue de nos jours, à secouer notre passivité. Si nous désirons que les choses changent, si nous désirons que l’Évangile transforme notre propre coeur, il faut d’abord nous convertir.

En quoi consiste cette conversion? Dans le langage biblique, se convertir signifie changer de direction, se retourner vers quelqu’un ou quelque chose. Vers quoi ou vers qui aller? Le Christ nous propose le chemin qui mène vers son Père et nous avertit qu’il n’y a pas de temps à perdre. Il faut quitter sans tarder nos servitudes, mettre plus d’engrais sur nos plantes stériles. Ça ne se réalisera pas en un jour, il faut y mettre du temps. Jésus, par la parabole du figuier, nous enseigne la patience de Dieu. Il ne mesure pas sa grâce sur une balance, il nous apporte son soutien à tous les jours. En bon vigneron il déploie inlassablement des efforts pour que nous donnions du fruit. Il le fait dans l’espoir que nous revenions à Lui. Il peut nous arriver des creux de vagues, comme le figuier qui n’avait pas produit pendant trois ans. Ce carême, c’est entre autres le moment de retrousser nos manches afin de recommencer à porter du fruit. En Église, nous traversons aussi des épisodes d’épreuves et de crise. Il nous revient de voir ce qui continue de pousser pour l’entretenir de notre mieux.

Les paroles de Jésus vont donc plus loin qu’une simple invitation à la conversion. Nous risquerions de tomber dans le désespoir à la vue de notre propre insuffisance, si nous ne voyions pas que Dieu lui-même vient à notre secours. S’il veut que nous changions le monde en commençant par changer notre coeur, c’est lui qui le prend en grande partie sur ses épaules. C’est lui qui prend patience, qui donne des chances, qui recommence à travailler le sol, là où on ne voyait plus d’espoir.C’est lui qui vient nourrir, de sa propre mort sur la Croix, la stérilité de nos vies.

Un musulman disait un jour à un chrétien: “Vous êtes chanceux, vous les chrétiens, si c’est vrai, que Dieu soit venu en personne vous rencontrer, vous parler et vous dire son nom, à savoir qu’il est un Père. C’est merveilleux que Dieu se présente ainsi et que son Fils vous parle d’un Dieu plein d’amour”. La tradition musulmane donne 99 attributs à Dieu. Le 100e pour nous c’est qu’il est Père, un Père qui aime sans condition. Moïse avait eu une première révélation dans le buisson ardent, mais bien mystérieuse. Mon nom est “je suis celui qui suis”.Pour l’instant “regardez-mois bien faire!”... c’est donc difficile de lui imposer une étiquette. Il était jusque là pratiquement inconnaissable. Il a fallu une longue évolution dans le peuple d’Israël et l’arrivée de Jésus pour que nous soit enfin dévoilé son vrai nom.

Alors que de terribles événements assombrissent les temps que nous vivons, Jésus veut nous rappeler que le chemin de la paix et d’un monde meilleur passe par notre propre conversion, une conversion personnelle et convaincue. Alors, comme Moïse, nous pourrons affronter les tempêtes, les dangers et nos propres peurs, appuyé sur Celui qui seul peut nous sauver, c’est Celui qui est, que nous connaissons maintenant comme un Père plein d’amour.